Ce système vert de tri qui fait rêver les français séduit ces pays, mais pourrait se retourner contre vous
À Séoul, quand les températures baissent, les trottoirs restent presque impeccables. Pas question de laisser traîner un sac poubelle au mauvais endroit ni au mauvais moment. Dans cette ville où chaque kilo d’ordures se paie au prix fort, certains habitants voient même leur facture allégée ou cumulent des points grâce à leur zèle au tri. De quoi alimenter un fantasme bien ancré en France : et si l’on pouvait être payé pour trier ses déchets comme dans ces pays qui semblent avoir tout compris à l’écologie moderne ?
Promesses politiques, applis "vertes", témoignages venus d’Asie ou de Suisse entretiennent cette idée d’une écologie récompensée, presque ludique. On trierait mieux, on sortirait moins de sacs, et en échange on récupérerait des réductions de factures ou des bons d’achat. L’expression "être payé pour bien faire" fait rêver, surtout face à la fatigue du tri et aux factures qui grimpent. Mais derrière cette carotte financière qui brille de loin, la réalité est plus nuancée… et parfois nettement moins réjouissante.
Être payé pour trier ses déchets : ce que font vraiment certains pays
La Corée du Sud est devenue l’exemple le plus commenté avec son système Pay-As-You-Throw (PAYT). Le principe est simple sur le papier : chaque foyer doit acheter des sacs officiels pour ses déchets non recyclables, facturés selon la quantité produite. Moins on jette, moins on paie. Dans plusieurs municipalités, ce dispositif est complété par des points de recyclage crédités via des bornes connectées, points ensuite convertibles en réductions sur les abonnements de transports, sur certaines taxes ou en bons d’achat dans les commerces de quartier.
Les premiers résultats ont de quoi impressionner. Depuis l’introduction systématique du PAYT en Corée du Sud, la quantité de déchets ménagers non recyclés a chuté d’environ 30 %, tandis que le taux de recyclage a frôlé les 60 % dans certaines grandes villes. Pour beaucoup de familles, le tri est devenu une véritable habitude, parfois même un petit challenge entre voisins, avec à la clé une facture qui baisse. On a l’impression que tout le monde y gagne : les finances publiques, la planète et le portefeuille des habitants.
Quand être payé pour trier ses déchets se retourne contre certains foyers
Derrière ces chiffres flatteurs, la vie quotidienne est plus contrastée. L’incitation financière finit par peser sur les épaules de certains habitants, qui vivent avec la crainte de trop remplir leurs sacs ou de se tromper de bac sous peine de frais supplémentaires. L’incitation financière, à force d’insistance, peut devenir source de stress au quotidien. Les ménages les plus modestes, souvent en habitat collectif, sont parmi les plus exposés : moins de place pour stocker les déchets, moins d’accès à des solutions de tri simples, et des achats en petits conditionnements, plus générateurs d’emballages. Payer davantage parce qu’on trie moins n’est alors pas un choix, mais une conséquence du contexte de vie.
Des dérives apparaissent aussi en coulisses. Certains habitants contournent le système en déposant leurs sacs dans des poubelles publiques ou dans d’autres quartiers, d’autres vont jusqu’à fausser la pesée ou frauder pour économiser quelques euros. Cette "délocalisation" des déchets n’est pas qu’un concept théorique. Et quand les règles deviennent trop complexes, la confusion fait déjà des dégâts. En France, la couleur des bacs varie d’une ville à l’autre : un même bac jaune peut accepter un pot de yaourt dans une commune, et le condamner au refus de tri dans une autre. Résultat, le taux d’erreur lors du tri sélectif oscille entre 20 et 30 %, avec jusqu’à un quart du contenu trié qui ne pourra finalement pas être recyclé. Dans le Pays fléchois, le taux de refus de tri atteint 30 % en 2024, chaque tonne refusée coûtant 250 euros à la collectivité.
En France, avant d’être payé pour trier ses déchets, il faut réparer le tri
Plutôt que de promettre une récompense immédiate, certaines collectivités françaises commencent par revoir leur système de collecte pour le rendre plus lisible et plus équitable. Dans la communauté de communes du Pays fléchois, tous les foyers vont être équipés de deux bacs à partir du 18 mai 2026 : l’un pour les ordures ménagères, l’autre pour le tri des emballages, avec une collecte alternée une semaine sur deux. L’objectif est multiple : harmoniser les pratiques, réduire les sacs éventrés dans la rue, mais aussi ménager la santé des ripeurs qui soulèvent aujourd’hui en moyenne cinq tonnes de déchets par jour. "C’est un projet de longue haleine", a rappelé Nadine Grelet-Certenais, présidente de la communauté de communes du Pays Fléchois, à Actu.fr. Et le message est clair sur l’enjeu environnemental : "C’est aussi pour faire baisser le taux de refus de tri", note Christophe Libert, vice-président de la déchetterie et des ordures ménagères.
Le territoire a investi 1,2 million d’euros pour distribuer environ 18 000 bacs, sans surcoût direct pour les habitants, le budget déchets restant autour de trois millions d’euros par an. Trois tailles de bacs d’ordures ménagères et deux tailles de bacs de tri sont proposées, en fonction de la taille des foyers, recensée via une enquête. "La distribution des bacs est totalement gratuite. Il y a aujourd’hui une carte professionnelle des enquêteurs livreurs et une attestation de la collectivité. Si toutefois il y a un doute qu’ils n’hésitent pas à demander au service ou à leur mairie", explique Nicolas Jariais, chef du pôle valorisation des déchets et propreté publique. Ce type d’exemple rappelle une réalité peu visible : avant d’imaginer payer les citoyens pour trier leurs déchets, les collectivités doivent déjà absorber le coût des refus de tri, clarifier des consignes de couleur parfois contradictoires et accompagner en priorité les foyers les plus fragiles. L’écologie à récompense ouvre des pistes, mais laisse en suspens une question qui dérange un peu : veut-on trier pour la planète, ou surtout pour son portefeuille ?