Ce contenu bien-être sur TikTok abîme déjà l'alimentation d'une génération entière sans qu'elle s'en doute
Sur TikTok, les vidéos de repas parfaits se succèdent : smoothies éclatants, bowls calibrés au gramme près, listes d'aliments à bannir pour soi-disant mieux manger. À force de faire défiler ces images, certains finissent par se surprendre à penser, devant un morceau de pain ou un carré de chocolat, "Je n’ai plus le droit de manger ça".
En 2025, la plateforme est devenue un réflexe santé pour toute une génération : près d’un tiers de la génération Z en Europe se tournerait vers les réseaux sociaux pour des conseils médicaux, et encore davantage pour la nutrition. Une simple vidéo "What I eat in a day" peut suffire à remettre en cause un repas tout à fait banal, au point de se demander si l’on mange encore "normalement". Peu à peu, l’application ne se contente plus d’inspirer les menus, elle s’invite dans la petite voix intérieure qui commente chaque bouchée.
FoodTok : quand TikTok fait de la nutrition un spectacle permanent
Les formats food les plus populaires sur TikTok ont des codes bien rodés : assiettes ultra colorées, avant/après spectaculaires, hashtags comme #GirlDinner ou #CalorieDeficit, le tout emballé dans la promesse de "manger mieux". Sous ces airs ludiques, la communauté FoodTok impose des repères visuels très stricts sur ce qu’est un repas acceptable. Beaucoup ouvrent l’application pour trouver des idées et se retrouvent à se demander ce qu’ils ont vraiment le "droit" de mettre dans leur assiette.
Le problème, c’est que la majorité de ces conseils nutrition sur TikTok ne reposent pas sur des bases solides. Une analyse menée par MyFitnessPal et la Dublin City University sur 67 000 vidéos montre que seulement 2,1 % des contenus seraient alignés sur les recommandations de santé publique, tandis que 57 % des Millennials et de la génération Z disent se laisser influencer par ces tendances et 67 % en testent au moins une plusieurs fois par semaine. D’autres travaux cités par des organismes de veille nutritionnelle relèvent que 44 % des vidéos étudiées portent sur la perte de poids, que moins de 3 % affichent un message inclusif sur le poids, et que seulement 1,4 % des contenus donnant des conseils alimentaires sont produits par des diététiciens. Les vidéos les plus spectaculaires et les plus simplistes sont aussi celles qui génèrent le plus de réactions, ce qui les fait remonter encore davantage dans le fil "Pour toi". Avant d’appliquer une astuce vue sur l’écran, se demander "qui parle ?", "d'où viennent les chiffres ?", "est-ce réellement adapté à toutes et tous ?" devient un véritable réflexe de survie numérique.
Les dégâts insidieux des conseils nutrition TikTok sur le rapport à la nourriture
À force de voir défiler listes d’aliments "toxiques", menus millimétrés et challenges détox, beaucoup finissent par perdre leurs repères. L’assiette, qui devrait rimer avec réconfort, se charge d’angoisse : peur de "mal faire" en servant des pâtes, hésitation devant un morceau de fromage, repas vécus comme des tests de discipline plus que comme des moments de plaisir. Certains se surprennent à recalculer en permanence leurs apports, à dresser mentalement des listes d’interdits ou à culpabiliser pour un dessert partagé entre amis. Ces comportements ne suffisent pas, à eux seuls, à parler de troubles alimentaires, mais ils traduisent déjà une relation à la nourriture fragilisée par un flux d’injonctions contradictoires.
Le débat autour de Tibo InShape illustre ce glissement vers une forme d’obsession du "manger sain". Devant les vidéos de son petit-déjeuner à base de flocons d’avoine et d’eau, certains internautes vont jusqu’à poser un diagnostic dans les commentaires : "Il a un TCA qui n’est pas encore reconnu comme tel, ça s’appelle l’orthorexie. C’est le besoin inconditionnel et pathologique de manger sainement et uniquement des aliments purs et naturels. Ceux qui en souffrent ne s’autorisent aucun écart. Il va jusqu’à peser ses aliments", écrit l’un d’eux. Un autre se moque ouvertement : "Flocons d’avoine et eau… Il n’y a que les chevaux qui mangent ce genre de chose… C’est immangeable !", témoignant d’une confusion entre critique du contenu et jugement sur la personne. Face à ces attaques, le youtubeur répond en assumant son mode de vie très cadré : "Ça fait 15 ans que je me prépare chaque matin un porridge parce que j’aime ça et que le flocon d’avoine est un super aliment, source de fibres, de protéines et de nutriments," explique-t-il, avant d’ajouter : "Ce n’est pas ma faute si à 30 ans, certains mangent encore des Chocapic au petit-déjeuner comme des enfants de 8 ans. Moi, j’assume mon palais de doberman. Les gens sont tellement obnubilés par la nourriture industrielle que manger sainement en 2025 devient un problème.", cité par Peaches. Il rappelle peser ses aliments "pour piloter une diète et rester sec toute l’année" et insiste : "Merci de ne pas employer le mot 'TCA' à tout bout de champ ! C’est une vraie maladie et ce terme est trop important pour le banaliser. [...] Ne me faites pas la morale parce que je mange trop sainement." Cette polémique montre à quel point vocabulaire des TCA, modèles extrêmes et jugements croisés s’entremêlent sur TikTok, brouillant encore un peu plus les repères.
Comment reprendre la main sur son alimentation face aux vidéos nutrition TikTok
Pour mesurer l’emprise des vidéos nutrition TikTok, certains signaux reviennent souvent dans les témoignages :
- penser presque en continu à ce qu’il faudrait manger ou éviter, en suivant davantage les tendances que ses sensations de faim ;
- multiplier les listes mentales d’aliments interdits vus en vidéo, jusqu’à restreindre fortement ses choix au quotidien ;
- ressentir une culpabilité immédiate au moindre écart par rapport à un menu présenté comme "idéal" sur l’application ;
- hésiter à partager un repas en famille ou entre amis de peur qu’il ne soit pas jugé "pas assez sain".
Face à ces signaux, des spécialistes invitent à "mettre l’algorithme en sourdine" : limiter le temps passé sur les contenus bien-être, cesser de liker ou commenter les vidéos qui angoissent, diversifier ses centres d’intérêt sur l’application. Miser sur des repères simples aide à se recentrer sur la réalité de son corps : produits locaux et de saison, repas préparés à l’avance, carnet alimentaire positif qui note ce qui fait du bien sans juger. En cas de doute ou si la souffrance devient trop présente, l’appui d’un professionnel de santé reste indispensable ; comme le rappelle le Dr Sacha Gabriel dans une vidéo sur YouTube, "Les vidéos ne remplacent en aucun cas, une consultation médicale. En cas d'urgence médicale, appelez le 15 (SAMU)". Un principe qui vaut aussi pour la nutrition et les troubles du comportement alimentaire, loin de la pression des likes et des commentaires.