Quand quelqu’un dit « je vais bien », voici ce que cela cache vraiment selon les psychologues
Un « je vais bien » lâché entre deux mails, au détour d’un dîner ou dans un ascenseur, sonne pratique. Propre, net, rassurant. Pourtant, les psychologues rappellent que cette formule-politesse masque souvent des émotions épaisses, parfois contraires. C’est un paravent social autant qu’un réflexe de protection.
Chaque jour, des centaines de micro-échangés s’achèvent par « ça va ». Dans les transports, au travail, en famille, le script est connu, presque automatique. Cette réponse rassure l’entourage et permet d’avancer sans s’attarder sur les dénivelés intérieurs. Or la recherche en psychologie sociale montre que le langage de façade n’est pas un détail : il régule l’image de soi, maintient le lien… et cache les secousses. On a tous déjà vécu ce moment où l’on sent qu’un « je vais bien » sonne trop lisse, comme si quelqu’un parlait derrière une vitre. Parfois, c’est vrai. Parfois, c’est un bouclier. Et ce bouclier raconte quelque chose.
Ce que « je vais bien » dit en creux
Les cliniciens parlent souvent de **Masquage émotionnel**. Quand la personne veut éviter la pitié, se préserver d’une question de trop, ou rester dans son rôle. Le « je vais bien » sert alors d’étiquette universelle : on n’a pas besoin de se déshabiller émotionnellement. Dire « je vais bien » évite parfois d’ouvrir une porte trop lourde. C’est aussi une stratégie face au risque de jugement. Beaucoup craignent d’être « trop » sensibles, « pas assez » solides. Alors on verrouille. Et tout le monde retourne à sa journée.
Les chiffres rappellent l’ampleur du décalage entre façade et vécu. L’OMS estime qu’« une personne sur huit » vit avec un trouble mental (2022), et environ 280 millions avec une dépression. Cela signifie que dans un open space moyen, plusieurs « ça va » cohabitent avec de l’anxiété, du deuil ou du surmenage (Organisation mondiale de la santé, 2022). La formule n’est donc pas un mensonge pur. C’est un raccourci social, potentiellement posé sur un terrain accidenté.
Sur le plan psychologique, taire l’émotion a un coût. Les travaux de James Gross et Oliver John ont montré que la suppression expressive peut diminuer la qualité des interactions et augmenter la charge physiologique. Traduction concrète : moins de connexion, plus de tension. Le « je vais bien » devient une armure qui protège sur le moment, mais isole à force d’être portée. Quand la routine d’autoprotection s’installe, la solitude émotionnelle s’épaissit. C’est subtil, progressif, efficace… jusqu’au jour où ça craque.
Comment répondre sans brusquer
Face à un « je vais bien » qui sonne plat, une méthode simple aide : poser des **petites questions ouvertes**. « Et ta semaine, elle ressemble à quoi ? », « Qu’est-ce qui t’a fait sourire aujourd’hui ? ». L’idée n’est pas d’enquêter, mais d’offrir un palier. On peut aussi nommer le contexte : « On a deux minutes, pas plus, mais si tu veux décharger un truc, je suis là. » Le cadre clair réduit la peur d’envahir et ouvre la porte juste ce qu’il faut.
Autre geste utile : valider sans corriger. « Ok, tu dis que ça va. Si jamais c’est compliqué, on peut en parler plus tard. » Zéro forcing, zéro solution prémâchée. Soyons honnêtes : personne ne fait vraiment ça tous les jours. Le réflexe, c’est de conseiller, de rassurer trop vite. Mieux vaut écouter, reformuler en une phrase, laisser un silence. Parfois, c’est dans cette respiration que la vérité affleure.
Et si la personne ne veut pas parler ? Proposer un canal différent, plus doux. Un message le soir, une marche, un café loin des autres, un « check-in » discret demain. Glisser un plan B précis rassure. On peut aussi mentionner des **signaux discrets** à surveiller ensemble : sommeil en vrac, irritabilité qui grimpe, isolement. Sans dramatiser. Un « Si je remarque que tu te retires, je te re-proposerai un moment » fait sentir une présence continue, pas un interrogatoire.
Quand l’armure pèse trop
Il existe des repères simples pour savoir quand le « je vais bien » mérite d’être creusé. Une chute d’énergie qui dure, des absences, des erreurs inhabituelles, des plaisanteries sombres qui reviennent. Si deux ou trois de ces indices s’installent, proposer un temps dédié peut soulager. Un « On bloque 20 minutes demain ? » vaut mieux qu’une promesse vague. Et si la relation le permet, évoquer des ressources professionnelles sans solennité réduit le tabou.
Nommer les numéros utiles enlève une barrière mentale. En France, 3114 répond 24/7 sur la prévention du suicide. Les urgences, c’est le 15, et 112 partout en Europe. Parler santé mentale comme on parle d’un entorse change l’atmosphère. L’objectif n’est pas de diagnostiquer. Juste d’ouvrir une sortie de secours visible, au cas où. Une phrase suffit souvent : « Si un jour ça déborde, on n’attend pas. On appelle. »
Reste un angle souvent oublié : soi. Soutenir sans s’épuiser demande un minimum d’hygiène émotionnelle. Fixer une limite de temps, déminer la culpabilité (« on reprend demain »), ventiler ensuite avec une activité neutre. Parler vrai aide les deux côtés. Dire « Je tiens à toi et j’ai 15 minutes, on s’y met ? » met de la vérité, du cadre et du respect. C’est sobre, et ça marche mieux qu’un « raconte-moi tout » sans filet.
Et si on osait des « ça va » plus nuancés ?
Le « je vais bien » restera là, utile, pratique, social. Mais il peut devenir un point de départ, pas un point final. Un « ça va… moyen, mais je gère » crée une brèche où l’autre peut entrer sans s’imposer. Un « ça va côté boulot, moins côté sommeil » donne un cap. Ces nuances transforment l’échange, et souvent la journée entière qui suit. Parfois, il suffit d’un espace de trois mots pour déposer un peu de vrai.
Le réflexe de façade n’est pas une faute morale. C’est une stratégie. En face, la réponse n’a pas besoin d’être héroïque pour être utile : un regard qui tient, une question douce, un pas de côté. Et si l’on changeait juste le rythme ? Pas tout le temps, pas partout. Par moments. On verrait alors que, derrière « je vais bien », il y a des vagues, des accalmies, et surtout des liens prêts à se renforcer quand quelqu’un tient la porte une seconde de plus.