Ce félin qu’on laisse sortir pour sa liberté serait responsable d’un carnage silencieux dans votre jardin
Dans beaucoup de maisons, la liberté d’un chat tient à un geste simple : une porte qu’on laisse entrouverte, une chatière toujours accessible, un jardin transformé en terrain d’exploration. On se rassure en le voyant rentrer pour une sieste sur le radiateur, ventre plein, moustaches tranquilles. L’idée paraît évidente : le laisser sortir, ce serait respecter sa nature de félin, tout en profitant d’un compagnon paisible à l’intérieur.
Derrière cette scène familière, une autre réalité se joue pourtant, loin du regard des humains. Car ce chat repu reste un chasseur à part entière qui, même nourri, traque et capture de petites proies par réflexe, sans forcément les consommer. Mulots dans les haies, rouge-gorges sous les mangeoires, lézards dans l’herbe : ce ballet discret pèse lourd sur la petite faune. Pour mesurer l’impact des chats domestiques sur la biodiversité, il faut regarder les chiffres, mais aussi la façon dont nous concevons sa “liberté”.
Impact des chats domestiques sur la biodiversité : un prédateur sous-estimé
Le chat domestique partage notre canapé, mais son corps reste taillé pour la chasse. Vue perçante, ouïe fine, déplacement silencieux et patience en embuscade le rendent extrêmement efficace. Les études sur son comportement montrent qu’un chat bien nourri ne chasse pas moins, il chasse différemment, par instinct, avec davantage d’énergie disponible. Ses prises se composent à près de 70 % de petits mammifères comme les souris, mulots ou campagnols, environ 20 % d’oiseaux, et autour de 10 % de proies diverses, parmi lesquelles lézards ou insectes.
À l’échelle mondiale, des estimations scientifiques évoquent un ordre de grandeur vertigineux : chaque année, les chats seraient responsables de la mort de 1,4 à 3,7 milliards d’oiseaux et de 6,9 à 20,7 milliards de mammifères. En France, certaines évaluations parlent de près de 75 millions de petits animaux tués chaque année. La plupart sont des micromammifères, mais les oiseaux du jardin paient eux aussi un lourd tribut. Quand cette prédation des chats s’ajoute à la disparition des haies, aux pesticides ou aux collisions sur les routes, l’équilibre des écosystèmes locaux se fragilise très vite.
Liberté du chat dehors : un mythe qui coûte cher aux oiseaux du jardin
Dans de nombreux foyers, ne pas laisser sortir son chat est presque perçu comme une privation. L’argument revient souvent : un chat enfermé serait forcément malheureux. Les spécialistes de la faune et du comportement félin rappellent pourtant qu’un animal équilibré ne dépend pas d’une liberté sans limite, mais de stimulations adaptées, d’un lien avec son humain et de la possibilité d’exprimer ses instincts par le jeu. Sortir sans contrainte ne constitue pas un besoin vital, alors que la facture écologique de ces escapades, elle, est bien réelle.
Pour le chat lui-même, ces sorties ne sont d’ailleurs pas sans risque. Froid et humidité en hiver, voitures difficiles à anticiper, chutes, bagarres avec d’autres animaux, morsures et maladies peuvent transformer la promenade en drame, jusqu’à la disparition pure et simple de l’animal. Le quotidien régional Le Dauphiné Libéré résumait ainsi une affaire de maltraitance où plusieurs chiens et chats avaient été laissés livrés à eux-mêmes dans un logement : "Dans l’appartement, c’était le carnage". Pour les chats que l’on laisse vagabonder au nom de leur liberté, ce carnage se joue surtout dehors, dans les jardins et les haies, aux dépens de la petite faune.
Comment limiter la prédation de son chat sans le rendre malheureux
Une grande partie de la solution se joue à l’intérieur. Transformer le logement en terrain d’exploration aide à détourner l’énergie de chasse vers le jeu. Arbres à chat, griffoirs, plateformes en hauteur, cachettes et jouets à poursuivre ou attraper recréent des scènes de prédation sans victimes. Des séances de jeu quotidiennes, quelques friandises bien dissimulées et des parcours improvisés répondent déjà à une question que beaucoup se posent : comment limiter la prédation de son chat tout en préservant son bien-être.
Pour les propriétaires qui tiennent à offrir un peu d’air frais, des sorties encadrées existent : balades en harnais, enclos extérieurs sécurisés, tunnels de jardin, fenêtres grillagées ou terrasses fermées permettent de profiter de l’extérieur en limitant les dégâts. Dans le jardin, quelques gestes simples réduisent aussi fortement la pression de chasse, et la cohabitation entre chats et oiseaux du jardin devient alors moins meurtrière :
- limiter autant que possible les sorties à l’aube et au crépuscule, moments où les oiseaux sont très actifs et vulnérables
- placer les mangeoires et nichoirs en hauteur, loin des cachettes où un chat pourrait se poster, et éviter de nourrir les oiseaux au sol
- planter des buissons touffus qui offrent des refuges rapides aux oiseaux en cas d’alerte, ou installer des grilles "stop chat" sur certains troncs
- équiper le chat d’un collier avec clochette, en gardant en tête que les individus les plus agiles apprennent parfois à se déplacer sans le faire sonner
- opter pour un collier anti-prédation coloré, une étude menée par l’organisation Birdsbesafe ayant montré qu’il réduit de 87 % les captures d’oiseaux en rendant le félin beaucoup plus visible pour ses proies